L'obscurantisme et l'esprit critique
Dans la lettre d’informations de l’éditeur en ligne book-e-book, spécialisé dans la zététique (art du doute), son directeur Henri Broch affirme : « Et même si les circonstances obscurantistes actuelles ne semblent pas vraiment propices au développement de l'Art du Doute, notre volonté est toujours de mettre à votre disposition les résultats des investigations menées selon ses règles [de la zététique]. »
Je suis d’accord avec lui : les circonstances actuelles sont plutôt obscurantistes, l’obscurantisme se situant du côté des barbares qui massacrent au nom d’un idéal anti-humaniste. Mais Henri Broch semble penser que ces incursions d’obscurantisme assassin dans nos sociétés ne permet pas à l’art du doute de se développer. Et là je suis plus réticente.
D’abord les tueurs ont fait leur travail de soumission au djihadisme en amont, bien avant de passer à l’acte. Le travail souterrain nous a échappés, à tous. L’obscurantisme était pourtant déjà là, pas totalement absent, mais plus ponctuel : rappelons-nous le 11 septembre 2001, il y a 15 ans…. L’art du doute n’était pas forcément mieux loti à cette époque, je faisais partie de l’AFIS à cette époque et le travail ne manquait pas. Le doute s’est toujours heurté à l’émotionnel, lui-même façonné par les frustrations, les rancoeurs, la perte de confiance dans les politiques et la science.
Ce que je vois à présent, c’est un petit sursaut à la fois des médias et des politiques vers une prise de conscience que l’éducation à l’esprit critique est indispensable. Et l’esprit critique est un outil universel. S’il est utilisé par les pouvoirs publics pour alerter les jeunes sur les dangers de la manipulation mentale opérée par les djihadistes, il peut aussi servir à d’autres circonstances de la vie quotidienne : escroqueries par des charlatans, embrigadement dans des sectes, endormissement par les discours politiques etc.
Les publications (livres, revues) sur la manipulation mentale ressortent. Relisez les livres de Gérald Bronner sur les croyances ou la pensée extrême. Les émissions et plateaux télé se multiplient sur le sujet de la lutte contre le recrutement islamiste en prison, sur internet, dans des mosquées. On parle enfin de l’esprit critique !
Le gouvernement a publié un petit schéma sur son site Ontemanipule pour éclairer le cheminement d’une théorie du complot. Ce schéma, s’il a le mérite d’exister et de ne pas être idiot, n’est pourtant pas la panacée. Il résume trop simplement une pensée plus que complexe.
Par exemple, à la question « L’hypothèse du complot est-elle vraisemblable et cohérente ? », si la réponse est non, c’est qu’il s’agit d’une théorie du complot. Certes. Mais ce qu’oublie le schéma, c’est que la réponse ne sera jamais « non ». Les personnes tentées par la théorie du complot trouveront toujours une logique interne à leur croyance et en conséquence l’estimeront vraisemblable. Il aurait fallu faire figurer dans le schéma des flèches allant vers la droite et mentionnant les réactions prévisibles des croyants, ainsi que des pavés où pourraient figurer les contre arguments à proposer, par exemple : la recherche et le recoupement des sources ont-ils été faits ?
Mais je comprends l’objectif des créateurs de ce schéma : faire simple pour être lu. Dommage qu’il ait fallu des attentats sur notre territoire pour que nos dirigeants s’inquiètent de l’éducation à l’esprit critique de nos jeunes. En attendant, ce sursaut est bon à prendre et doit être cultivé et amélioré.