Wuhan, ville close

Publié le par Agnès Lenoire

Fang Fang, Wuhan, ville close – Journal - éditions Stock La Cosmopolite, 2020, 390 pages, 23 euros.

Fang Fang, 65 ans, est une écrivaine de Wuhan, reconnue en Chine, grâce à plus de 80 ouvrages, dont certains primés. Quelques-uns sont traduits en français.

Depuis le 25 janvier, date du confinement des wuhanais, jusqu’au 25 mars, date de l’annonce de l’ouverture de la ville – du moins de sa banlieue (le cœur de ville ne sera déconfiné que le 8 avril), Fang Fang tient un journal de l’intérieur qui sera lu par plusieurs dizaines de millions d’internautes. Son journal montre une fine connaissance de la ville, ce qui s’explique par le fait qu’elle y habite depuis 63 ans et qu’elle aime cette métropole de 9 millions d’habitants intra muros. Présidente de l’Association des écrivains de la province du Hubei, elle entretient un réseau important d’intellectuels, comme des médecins et des journalistes, qui lui apportent des sources fiables.

Fang Fang commence tous ses posts en douceur et en poésie, avec la météo et les évolutions du printemps, magnolias et jasmins qui l’enchantent. Puis des nouvelles de la solidarité qui se met en place et qui lui fait chaud au cœur, puis le positif laisse place au malheur qui croît, aux malades qui errent dans les rues sans trouver de place à l’hôpital, aux soignants qui succombent en nombre à l’hôpital central, et aux statistiques lugubres. Le temps n’est pas encore à la révolte contre les responsables, mais les questions émergent tout de même : Pourquoi avoir mis trois semaines à admettre que la contamination était bel et bien interhumaine, après le passage de trois groupes d’experts plus incompétents les uns que les autres ? Pourquoi cette pénurie dramatique de protections, de masques, de tenues d’isolation ?

La population patiente calmement, mais au fil des jours, le ton de Fang Fang monte, elle voit dans les hauts fonctionnaires des êtres indolents et idiots qui les mènent au désastre, et pour cela elle subit les foudres des ultra-nationalistes, qui l’accusent de trahison envers le pouvoir. Et la colère de Fang Fang monte encore d’un cran, quand les autorités vont oser demander au peuple de participer à une manifestation dédiée aux dirigeants pour  leur bonne gestion de la crise ! Fang Fang réplique dans son journal que c’est aux dirigeants de remercier le peuple pour son courage et son abnégation face au malheur qui les frappe, et non l’inverse.

Fang Fang n’est pourtant pas une rebelle, elle fait juste des constats et s’en émeut. Elle a subi la révolution culturelle et ne veut pas y replonger. Elle voit ses posts très souvent supprimés, et sa plateforme Weibo a suspendu son compte pendant trois semaines. Mais l’intelligence fait des merveilles face à la censure. Une chinoise de l’étranger relaie ses publications supprimées sur son blog, dans les commentaires, par des copiés-collés séparés. D’autres posts seront retranscrits par les blogs du magazine chinois en ligne Caixin.

Harcelée d’insultes par les nationalistes, l’auteure fait pourtant preuve de sang-froid : elle estime qu’une poignée de ces acharnés ne fait pas le poids face aux 30 millions de lecteurs qui la soutiennent et qu’elles remercient profondément pour leur fidélité.

Récit empathique, poétique, révolté, en quête de vérité, parfois déprimé mais jamais désespéré, ce journal est une bulle de vie au milieu de la catastrophe.

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Publié dans Notes de lecture

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