Faut-il sacraliser le livre ?

Publié le par Agnès Lenoire

pile_livres-1.jpgEn ces temps de prix littéraires, au-delà des analyses et commentaires sur les ouvrages lauréats, les langues vont bon train sur la valeur suprême de la lecture, et donc du livre. On ne lit pas beaucoup  en France, regardez un peu les statistiques de l’INSEE  pour 2005 et vous constaterez combien les préjugés sont forts. Les jeunes, dans l’opinion publique, perdent le goût de la lecture, et accumulent de ce fait les lacunes scolaires. Or, l’étude de l’INSEE menée en 2005 montre qu’il y a plus de 40-59 ans que de 15-24 ans non lecteurs  (43 % des premiers contre 32 % des seconds n’ont lu aucun livre dans l’année). Toutefois, chez les plus âgés, il y a plus de très gros lecteurs que chez les jeunes (9 % des plus âgés ont lu  plus de deux livres par mois contre 6 % des plus jeunes). Déduction personnelle, corroborée par ce que j’entends autour de moi : la lecture serait source d’enthousiasme ou d’indifférence.  Source de jugements radicaux, rejet ou sacralisation. On entrerait en lecture comme on entre en religion, avec respect et obéissance aux codes en vigueur. Je m’occupe d’une bibliothèque, et quand je « désherbe » les rayonnages, je mets tout dans un  carton et je les propose au public. Puis je jette au papier ce qui n’est pas emporté. Je vois alors des gens, qui ne sont  pas par ailleurs de gros lecteurs, se jeter sur ces rebuts afin qu’ils ne partent pas au pilon. Cela « fait mal au ventre ». « Cela ne se fait pas. ». Bof…  Je choque alors beaucoup de monde en affirmant haut et fort que le livre est une marchandise, et je suis convaincue que la culture pour tous passe par cet état d’esprit : celui d’user et d’abuser du livre, de le faire vivre puis éventuellement mourir. Bien sûr, je sais qu’il existe, et je vis cela moi-même, des attachements particuliers à certains ouvrages qui nous touchent, qu’on garde et regarde jalousement, qu’on empile et qui rassurent, vers lesquels on sait qu’on retournera chercher l’argument, l’histoire, les affects. Mais ce qu’on vit personnellement  ne doit pas devenir un dogme, sous peine de cultiver et faire cultiver un certain goût de l’élitisme. Le livre se multiplie,  et c’est formidable, les productions augmentent, avec leur lot de médiocrité, voire de déchets. Certes. Et alors ? L’abondance plonge les badauds de la lecture que nous sommes dans un bain d’écrit.  Ce que je regrette, c’est que le prix du livre soit si prohibitif et que l’achat d’un ouvrage ne permette plus de se tromper et de l’abandonner lâchement en cours de lecture.  C’est pourtant ce que l’on devrait faire, pour profiter de tous les autres. C’est pourquoi les bibliothèques sont là pour permettre ce papillonnage indispensable, cette faim inassouvie qui se renouvelle ou qui s’exacerbe. On passe d’une déception à une autre puis soudain, c’est le coup de cœur.

Je suis persuadée que le livre ne doit pas avoir de statut privilégié, du moins pas avant d’avoir satisfait son lecteur.  Un statut personnel, en quelque sorte, sur nos étagères préférées, sur nos tables de chevets, dans nos sacs, en tout cas hors lieux de vente. Les prix littéraires remettent la lecture à l’honneur en la médiatisant. On peut critiquer ses méthodes et chaque année, une polémique en naît.  Si la lecture peut tirer un avantage du consumérisme ambiant et de la médiatisation, je ne m’en plaindrais personnellement pas.

 

Publié dans Culture

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H
<br /> <br /> Je suis d'accord avec vous: il ne faut pas sacraliser le livre et la lecture.<br /> <br /> <br /> Je pense que derrière cette attitude se cache souvent une opinion que je réfute vigoureusement: pour se cultiver, il faudrait lire,<br /> quelque soit ce qu'on lit !<br /> <br /> <br /> J'ai dans ma famille proche de grands lecteurs et lectrices, qui ont toujours leur livre à la main. Mais, il s'agit d'une monoculture:<br /> des fictions récentes, anciennes, classiques, pseudo-scientifiques, à suspens, etc, mais toujours des fictions. Ce qui compte à leur yeux, c'est que l'histoire soit captivante et bien<br /> écrite.<br /> <br /> <br /> Comment quelqu'un qui a lu un nombre phénoménal de romans divers et variés peut-il se prétendre cultivé s'il reste<br /> enfermé dans le mode de la fiction sans jamais en sortir ?<br /> <br /> <br /> Cela donne des gens convaincus de leur haute culture mais qui n'ont aucune notion d'histoire (excepté la "petite"), de<br /> politique, d'économie, de philosophie ou de science en dehors des caricatures que peuvent en donner les fictions.<br /> <br /> <br /> Ces gens s'offusqueront en constatant que je ne connais pas le nom du héros du "Rouge et le Noir", mais trouveront en<br /> revanche tout naturel de croire en l'efficacité de l'horoscope ou de ne pas savoir ce qu'est un neurone.<br /> <br /> <br /> Le roman, c'est du divertissement. On acquiert certainement une culture beaucoup plus équilibrée en lisant des blogs<br /> comme le votre, en parcourant wikipedia, en lisant des livres scientifiques ou techniques, qu'en se gavant de romans classiques ou modernes, même écrits par des auteurs de<br /> talent.<br /> <br /> <br /> <br />
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C
je suis passée tard voir les ovnis et les livres, alors je laisse ce p'tit commentaire par politesse. bonne fin de nuit.clémentine
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C
Je rejoins ton avis sur le prix des livres et je profite de ce com pour te dire combien ton blog est intéressant. Tu y traites de sujets qui nous concernent tous et qui malheureusement, n'interrogent pas assez de monde.  Alors merci pour toutes ces infos. Au plaisir de te lire à nouveau. Corinne
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T
Sacraliser le ivre en temps qu'objet, non pas forcément  et votre note nous en convainc, mais plutôt sacraliser son contenu: l'écrit.http://totem.blog.lemonde.fr/2007/11/06/lecrit/
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