Code civil et qualités essentielles
J’avais décidé de ne pas parler de cette affaire de mariage annulé pour cause d’absence de virginité; mais il y avait tant d’opinions scandalisées, tant d’articles véhéments, il y avait dans le paysage médiatique tant d’unanimité dans la fureur que le doute s’insinua. Et s’il y avait autre chose, un autre aspect négligé ? C’est ce matin que je découvris un autre avis, celui du juge Rosenczveig. Il dit : le jugement a été porté sur la tromperie, pas sur l’état de virginité lui-même. Le mensonge aurait été d’une autre nature (stérilité d’un des deux époux par ex.), le jugement aurait été le même. Son argumentation est objective et sereine. N’empêche… ça fait un drôle d’effet à toutes les femmes cette annulation pour mensonge, quand on connaît la nature du mensonge en question. Alors, qui est responsable ? Les époux, qui accordent une importance à ce qui n’en a aucune, par un formatage soigneux des hommes concernant les qualités des femmes ? Sans doute. Mais alors qu’aurait pu dire le tribunal, sans trahir le code civil qui affirme que le mariage peut être annulé s’il y a eu tromperie sur une « qualité essentielle » de l’un des époux ? Voilà une charmante expression, incluse à l'article 180 du code civil qu’on doit à Napoléon. Cette expression anodine de « qualité essentielle » n’était sans doute pas sans intention, à l’époque où le code civil a été écrit. En 1804, il était de bon ton que les femmes eussent des qualités essentielles.
Si notre société permet ce type de situation anachronique c’est parce-qu’elle n’est pas très pressée de nettoyer le code civil de tout ce qui est rétrograde. L’article en question avait pourtant été modifié en 2006 pour ne plus permettre le mariage forcé par les familles ; extrait du code civil qui le mentionne : « L’article 180 du code civil modifié par la présente loi prévoit également que « l'exercice d'une contrainte sur les époux ou sur l'un d'entre eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage. » Ce fut un bel effort, mais encastré dans un ensemble incomplet, bancal, qui oscille entre désir de protection des femmes et fidélité au texte original napoléonien.
La solution à ce cas de conscience des juges (espérons qu’ils l’ont éprouvé comme tel !) aurait été de juger d’emblée la plainte irrecevable, au vu du motif archaïque qui caractérisait la plainte. Il n’y aurait pas eu procès. Pas de tapage médiatique mettant la virginité à la une de tous les journaux. Pas de virginité devenue information envahissante, en route vers une considération retrouvée. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ?