Histoire de la voyance & du paranormal
du XVIIIe siècle à nos jours
Nicole Edelman
2006, Éditions du Seuil, 284pages, 21 €.
Nicole Edelman est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X-Nanterre. Le lecteur pouvait donc s’attendre à un discours sur les faits sans préjugé. C’est plus ou moins le but atteint, sachant que l’auteure a des préférences et ne se contente pas de décrire l’histoire. Sa première partie expose l’histoire de l’astrologie, de la voyance et de divers oracles du Moyen-Âge au XVIIe, sans guère d’états d’âme. Mais dès les premiers cas de « somnambulisme magnétique » du XVIIIe, elle fait montre d’une étrange complaisance. Tous ses récits de manifestations sont écrits au présent de l’indicatif. On ne sait plus si elle cite un auteur croyant de l’époque ou si c’est elle qui parle, tant le propos est similaire. Il faut aller vérifier où sont placés les guillemets pour connaître la part des témoignages de croyants et sa part de commentaires :
Pourtant cette même année de condamnation, Balzac affirme dans Ursule Mirouët : « La science des fluides impondérables, seul nom qui convienne au magnétisme si étroitement lié, par la nature de ses phénomènes, à la lumière et à l’électricité, faisait d’immenses progrès, malgré les continuelles railleries de la science parisienne. » Les somnambules, n’en déplaise aux académiciens, continuent de voir…
En lisant vite, il serait facile de penser que la dernière petite phrase est aussi de Balzac tant elle s’enchaîne naturellement aux précédentes. Mais non, c’est bien Nicole Edelman qui commente … Son trouble vis-à-vis des pouvoirs psychiques est patent. Elle semble bien regretter, à demi-mots, le rejet des expériences de Mesmer (magnétisme animal) par l’académie des sciences de la fin des années 1840. Elle le revendiquera plus clairement en dernière partie du livre.
Reste que la somme d’informations sur l’évolution de ce « somnambulisme magnétique », qui donnera naissance à l’hypnose et au spiritisme au milieu du XIXe siècle est passionnante. Elle nous décrit comment des femmes « particulièrement sensibles » tombent en hypnose sous l’effet de leur magnétiseur, et peuvent alors entrer en contact avec des esprits. Du magnétisme à l’hypnose, de l’hypnose au spiritisme, popularisé par Allan Kardec1 (Le livre des esprits paraît en 1857), les esprits frappeurs, les guéridons, l’état de « conscience modifiée », la boucle est bouclée : toute la parapsychologie est née. L’auteure tente aussi d’expliquer l’immense succès du spiritisme par « le désarroi politique, social et religieux » de la seconde moitié de ce siècle, l’attente par rapport à la science, la soif de connaissances de soi. Elle met en avant et décortique les ambiguïtés des relations entre la religion catholique et le paranormal, montrant à quel point elles sont liées, malgré un rejet viscéral par les autorités cléricales :
Le spiritisme se revendiquait aussi comme une troisième révélation divine, permettant au christianisme de survivre grâce à des transformations essentielles.
Puis l’auteure s’attaque à l’astrologie. Et quand je dis « s’attaque », je n’exagère en aucune façon, car ce sera une longue somme de critiques bienvenues. Les lecteurs ou lectrices hérissées par les prétentions et les manipulations des astrologues boiront du petit lait ! Mais tout de même, tout esprit rationnel sera frappé (sans être en état de conscience modifiée !) par la différence de traitement par notre universitaire des différentes disciplines du paranormal. Elle l’avoue d’ailleurs elle-même en fin d’ouvrage : les activités de parapsychologie, comme celles de l’Institut de Métapsychique International, sont des activités de recherche. Pour elle, la cognition restant un domaine non entièrement compris, les capacités revendiquées par les médiums doivent être étudiées, observées, analysées. En cela bien sûr on ne peut qu’approuver. Mais on a un doute quant à l’objectivité des recherches sur ce point, quand elles ne sont entreprises que dans le but de mettre ces fameuses capacités à jour.
L’ouvrage de Nicole Edelman est tout de même précieux, car son analyse est à multiples facettes. Elle a aussi pris soin de décrire, et dénoncer, combien les femmes ont été manipulées, et mises en avant, sous le prétexte d’une prétendue sensibilité émotive aux esprits, aux ondes, aux fantômes, aux astres, sensibilité souvent apparentée à de la naïveté. Le rôle de la femme s’inscrit dans une solide éducation au relationnel et à l’émotion, lui bloquant tout accès à la réflexion objective. Le XXIe siècle ne s’est encore pas débarrassé de cette image…
1: Pour plus d'informations sur Allan Kardec, lire l'article de Jacques Poustis sur le site de l'AFIS