Traquez leurs doigts et trouvez le trader
Mis récemment sur le devant de la scène, les traders, spectaculaires et inaccessibles, intriguent, irritent ou forcent l’admiration. Ils méritaient donc bien une petite étude de sociobiologie, elle qui traque le gène qui pilote nos actions quotidiennes.
Le Figaro, rubrique Sciences, nous livre une étude qui démontrerait que le signe distinctif du trader est un annulaire bien plus long (que la norme – mais quelle norme ?) que l’index.
49 traders ont livré leurs mains. Ils ont en commun un annulaire plus long que l’index. Et alors ? Alors John Coates et son équipe de l’université de Cambridge qui ont conduit l’étude en ont déduit que ces traders étaient des hommes, des vrais, des bourrés de testostérone. « Les envahisseurs » de David Vincent avaient le petit doigt en l’air, ceux de Wall Street dressent fièrement leur annulaire. Donc John Coates n’a pas fait mieux que Larry Cohen, créateur de la série. Fallait-il être universitaire pour tirer des conclusions aussi fumeuses, fondées sur un échantillonnage aussi réduit ?
Hormis les 49 étudiés, comment sont les autres ? C’est le biais de Diagoras qui s’exprime ici. Diagoras de Melos était un poète grec athée du Ve siècle. Marcus Tullius Cicéron raconta qu’on lui montra un jour une liste de croyants qui avaient prié avec ferveur et avaient ainsi été rescapés d’un naufrage. Diagoras aurait alors demandé : « Où sont les noms de ceux qui avaient prié et qui sont morts ? »[1] Le problème de Diagoras habite nombre d’études, dès qu’elles ne s’appliquent pas sur un assez grand échantillonnage. C’est aussi ce biais qui fait le sens commun, qui nous fait raisonner par ce qu’on voit en éliminant tout ce qu’on n’a pas vu. La science devrait au contraire s’appliquer à éliminer ce biais récurrent. Ce n’est pas la sociobiologie qui le fera ; elle s’acharne à généraliser à partir d’un constat local, comme on le faisait au XIXe siècle avec la forme du crâne et le classement des criminels.
Si nous sommes assez nombreux à regarder nos doigts, il est fort à parier que la diversité sera telle qu’on ne pourra en tirer aucune conclusion. En attendant, moi j’ai dû rater ma carrière. J’ai une main de trader, alors que je ne suis que blogueuse, et bourrée de testostérone, probablement. Est-ce l’utilisation abusive du clavier qui fait pousser l’annulaire ? Une bonne et belle étude à soumettre à John Coates !
[1] Anecdote tirée de l’ouvrage de Nassim Nicholas Taleb, Le cygne noir – la puissance de l’imprévisible, éd. Les Belles Lettres, 2008.