Une éthique pour la voyance ?
La consommation a ses associations de défense, sous forme d’instituts ou de fédérations. Le consommateur peut alors trouver un soutien face aux escroqueries ou abus. Les arts divinatoires aussi. Un institut s’est en effet spécialisé dans la défense des consommateurs de voyance. L’Institut National des Arts Divinatoires (INAD) se targue en effet de savoir faire la différence entre les bons et les mauvais voyants et offre généreusement de transmettre ce savoir aux crédules que nous ommes. Les consommateurs d’arts divinatoires vont pouvoir être défendus, soutenus, et surtout prévenus, éduqués ? Rien n’est moins sûr !
Une « divination » digne d’intérêt existe-t-elle ?
Le président de l’INAD a rédigé une charte de déontologie, que les professionnels dits sérieux peuvent signer et afficher à côté de leurs prestations. L’adhésion à la charte donne droit, sur le même bulletin à remplir, à l’attribution d’une carte professionnelle. Une carte professionnelle, ou dite de « compétence », label de qualité de la voyance, il fallait oser ! Car si cet institut s’estime capable de détecter les pratiquants de divination malhonnêtes, c’est qu’il estime aussi qu’il en existe une autre – celle dont les pratiquants signent sa charte bien sûr – digne d’intérêt.
Il n’est pas nécessaire à un médium d’être un charlatan pour entrer en profession – il peut juste être victime de l’illusion d’avoir un don. Toutefois, pour d’autres personnes, l’intention d’escroquer - dénuée alors de toute croyance - peut suffire à se lancer dans la profession. Les deux types de pratique peuvent vivre séparément mais peuvent aussi se réunir en une seule et même personne. Un médium peut très bien être sincère, croire en son don, et ruiner ses clients par des tarifs exorbitants. Tout est possible. La seule chose impossible dans cette affaire, c’est la fiabilité intellectuelle de l’entreprise. Personne ne peut guère prétendre pouvoir dépister les mauvais praticiens pour la simple raison qu’aucun médium ne vous dira qu’en fait il ne sait rien de plus que ce que vous voudrez bien lui dire. Tous diront haut et fort qu’ils ont un petit « supplément d’âme », et qu’ils le mettent à votre service. Aucune chance donc de différencier ceux dont l’intention, saugrenue mais sincère, est de lire l’avenir du consultant, de ceux dont l’intention, froide et calculatrice, est d’abuser de sa crédulité. Dans les deux cas, que le voyant soit honnête et crédule, ou qu’il soit menteur et manipulateur, la prestation offerte n’a aucun moyen, mais vraiment aucun, d’être correctement évaluée en termes de comportement moral basé sur les intentions.
Le dédale du vrai et du faux : un faux problème
Alors, quel autre critère éthique peut-on dégager pour départager la bonne et mauvaise voyance ? Les résultats auprès des consultants ? Ce pourrait être un critère impeccable. Mais un médium a aussi droit à l’erreur, comme tout un chacun, le droit de ne pas être en forme, le droit d’être passagèrement perturbé, non ? Un don est parfois capricieux ; ça lui donne d’ailleurs un certain cachet. Don capricieux dont ils usent quand il s’agit de faire une démonstration publique ou un test scientifique. Et c’est inespéré, car de ce fait, nos médiums ainsi dédouanés deviennent aptes à pratiquer l’erreur à longueur de consultations. Personne ne peut se sortir de cette ornière. Mais l’INAD, lui, peut le faire pour vous ! On peut lire sur son site internet, en fin d’éditorial :
« […] le présent site dont l’objectif est de vous informer dans le dédale du vrai et du faux. »
Alors que personne ne peut démêler l’écheveau, un seul institut détient la vérité. A ce titre, l’INAD proteste contre les voyants qui affichent sur leur site une charte qui ressemble à la sienne, sans la citer. Charte gardée ! Extrait de la rubrique « Questions diverses » : « Ce sont des agissements parasitaires de certains praticiens plus ou moins indélicats qui ne font pas état de leurs sources pour se donner une crédibilité de façade. »
La quête de vérité est pourtant bien vaine dans les arts divinatoires puisqu’ils sont, par essence, et sans même l’intention de tromper, une opération farfelue bien éloignée de la vérité.
Une déontologie trompeuse
Cette charte, que contient-elle ? Voyons un peu, sur le site web de l’INAD, ses recommandations, ses contradictions, et ses prises de position en faveur du commerce de voyance.
Les charlatans, c’est les autres
Son préambule invite les professionnels à s’engager dans une pratique moralisée et pour cela à adhérer à l’INAD et signer sa charte. L’objectif revendiqué étant aussi de protéger le consommateur contre les charlatans qui « discréditent l’ensemble de la profession ». Nous verrons lors d’une visite plus poussée du site web, que le consommateur, loin d’être protégé, est enfoncé à plusieurs reprises.
La charte s’ouvre sur des recommandations concernant la légalité : déclarations d’activité imposées par la loi. Dit autrement, le voyant ne doit pas travailler au noir.
L’obligation de moyens protège le voyant
Puis vient un paragraphe édifiant. : le médium n’a qu’une obligation de moyens, pas de résultats. Dans les arts divinatoires, le praticien ne doit pas faire état de certitudes, ni « garantir la réalisation certaine d'évènements ». En matière de travaux occultes, il ne doit pas « promettre ou garantir un résultat ». Et en cas de non respect de cette clause, en cas de promesse non tenue, « le consultant a droit au remboursement des sommes éventuellement versées à défaut de réalisation du résultat garanti ou promis ». Cette dernière phrase est intéressante, elle pourrait permettre de rembourser beaucoup de monde ! Mais posons-nous une autre question : que sont ces fameux travaux occultes ? Pourquoi apparaissent-ils ici ? Ils ne seraient pas inclus dans les arts divinatoires ? Eh non ! Les travaux occultes, ce n’est plus de l’art, c’est du tout pourri, comprenez : de la sorcellerie. Vous savez, les désenvoûtements, la magie noire… Le médium qui signe la charte « s’engage à n’effectuer aucun travail occulte »…sauf s’il établit un contrat écrit, signé des deux parties, mentionnant la nature de la prestation et le prix. Oui, tout de même.
Le voyant ne vous influence pas…ayez confiance
Plus loin dans la charte, le chapitre « Manœuvres frauduleuses » est très surprenante et mérite d’être retranscrit en entier : « Le praticien s'engage à respecter le libre-arbitre de ses consultants et s'interdit d'exercer une quelconque influence sur eux. Il s'interdit d'abuser de la naïveté ou de la crédulité de personnes en situation de faiblesse ou de fragilité, de profiter ou d'exploiter la faiblesse, la solitude ou tourmente affective des personnes seules, des personnes âgées, malades, handicapées... Il s'interdit de se livrer à des mises en scène ou à des manœuvres susceptibles d'induire le client en erreur. » Chaque ligne de ce petit paragraphe pourrait se résumer en deux mots : mission impossible !
« Le praticien s’engage à respecter le libre-arbitre » : mission impossible. La pratique des arts divinatoires, quelles que soient les motivations bienveillantes de ses professionnels, enlève obligatoirement une part du libre-arbitre du client, et exerce une influence considérable sur lui, qui le montrera par son écoute attentive et/ou par le suivi des conseils éventuellement prodigués. L’influence est bien le maître mot de l’entreprise divinatoire..
« Il s’interdit d’abuser de la naïveté » : mission impossible parce que trop tard ! La personne qui décide de consulter est forcément un peu naïve. La naïveté sera donc une “actrice de terrain” présente aux consultations, que le voyant ait ou non conscience de travailler sur cette faiblesse.
« Il s’interdit de se livrer à des mises en scène » : mission impossible. La mise en scène est au cœur des arts divinatoires. Mise en scène calculée, pensée, pesée. Enfin, le comble de l’éthique pour un médium, c’est de ne pas entreprendre de « manœuvres susceptibles d’induire en erreur » ! On ne saura rien de plus sur ces « manœuvres ». Les mises en scène à l’aide de cartes, d’une boule de cristal, d’un pendule de radiesthésiste, de taches d’encre, ce ne sont pas des manœuvres susceptibles d’induire en erreur ? Ils sont pourtant dûment répertoriés comme arts divinatoires sur le site de l’INAD…
Ces mises en scène sont aussi décrites dans les guides de voyance sous le nom de “rituels”, comme sur ce site où l’on peut lire : “ […] vous pouvez très bien allumer une bougie, vous installer à une place bien définie dans votre appartement, tirer les lames sur une nappe en soie, brûler un bâton d'encens, etc. Ces actions sont surtout destinées à vous mettre en condition pour le tirage. Il est important que vous vous sentiez à l'aise.”
Compétence mystérieuse et tarif libre
Enfin, la charte va se fermer sur la délicate question des tarifs : « Les honoraires des praticiens sont libres et dépendent de la compétence réelle et confirmée des intéressés. » Et on la connaît comment, cette compétence-réelle-et-confirmée des professionnels ? Mystère… Les tarifs sont donc libres. Comment ça, vous protestez, vous les trouvez chers ? Ils vous paraissent chers, mais c’est parce qu’ils sont compétents !
Les contradictions
Défense du voyant et du consommateur : un antagonisme
Après avoir épluché cette charte, on commence à prendre conscience qu’elle est dirigée vers les professionnels, qui peuvent s’appuyer sur elle en tant que « label rouge », mais qui peuvent aussi refouler les plaintes des consommateurs dans la rubrique « questions diverses » du site, où deux plaintes de consommateurs sont repoussées de manière très méprisante. À Iana, qui demande conseil sur une éventuelle plainte pour « abus de confiance », l’INAD lui rappelle que le voyant n’a aucune obligation de résultats, il n’y a donc pas abus de confiance. Puis il renvoie la personne à sa charte. Elle est bien utile cette charte !
À un autre consommateur qui dénonce les prédictions non réalisées d’un cabinet de voyance, un certain Dimitri, voyant, répond, mais en son nom propre. Lui aussi lui rappellera l’obligation de moyens et non pas de résultats. Il n’aura de cesse de culpabiliser ce plaignant : « D'autre part, il faut arrêter aussi de se victimiser dès que l'on se rend compte que l'on a trop abusé en consultations car je pense que vous êtes aussi coupable et capable de vous donner des limites quand vous le voulez. Après tout, je suppose (toujours) que ce cabinet ne vous a pas mis le couteau sous la gorge pour les consulter ? »
La défense du consommateur passe par de curieux chemins à l’INAD : relisez la charte, relisez-la encore et encore ! Vous verrez que vous êtes coupable !
Une petite obligation …sans certitude
Dans la rubrique Foire aux questions on peut lire une question cruciale : « Mais alors c’est quoi un bon voyant ? »
Réponse de l’INAD :
« Un bon voyant est celui qui vous révèle, sans vous poser de questions, l’objet de votre sollicitation. » Contrairement à ce qui était dit dans la charte : « Dans le domaine des arts divinatoires, cette obligation de moyens interdit au praticien de faire état de certitudes », on note qu’il a tout de même une petite certitude quelque part, le bon voyant ! Celle de savoir ce qui vous amène, rien que ça ! Nous ne sommes visiblement plus dans l’obligation de moyens mais bien dans une obligation de résultats. Mais gageons que tout voyant saura dire à son client qu’il vient parce qu’il a des problèmes… et le tour sera joué.
Autre contradiction dans la même rubrique : le voyant peut vous demander votre prénom et votre âge comme supports de son investigation. Mais trois lignes plus loin, on lit qu’il ne peut pas vous demander ni votre signe zodiacal ni votre date de naissance. La date de naissance serait trop précise, trop personnelle ? Le voyant s’interdirait les renseignements privés ? Rien de tout cela ! Il s’interdit de divulguer des informations privées, pas de les recueillir. En fait, il faut comprendre que l’INAD n’aime pas beaucoup les astrologues. Un support digne pour un astrologue n’est donc pas digne d’un voyant. En effet, plus haut dans la charte on pouvait lire que si un médium ne pratiquait pas une consultation personnalisée (en faisant « tourner » un logiciel par exemple – ce que font les astrologues), il devait y avoir contrat écrit ! La charte marque ses préférences.
Compétence réelle, supposée, confirmée : le sac de nœuds
Finissons les contradictions par la plus belle, celle des compétences. Nous avons déjà vu que dans la charte il est indiqué que les tarifs sont libres et qu’ils dépendent de la « compétence réelle et confirmée des intéressés ». Aucune marge n’est proposée dans la charte, laissant la voie libre aux abus, sachant par ailleurs que la compétence divinatoire ne peut se confirmer en rien, puisque sans évaluation possible. Mais dans la rubrique Foire aux questions que lisons-nous ? Que l’INAD, finalement, conseille un tarif : en cabinet, autour de 70-80 €, et ce, quelles que soient les « compétences réelles ou supposées du praticien » ! Les mêmes tarifs sont aussi préconisés dans l’éditorial, mais sans précision de compétences.
Dans un cas, il est besoin de compétences réelles et confirmées, mais dans l’autre il n’est plus besoin qu’elles soient confirmées, il suffit qu’elles soient supposées ! Bien sûr la seconde formulation est la plus proche de la vérité. Une consultation de divination ne peut être, jusqu’à preuve du contraire, que cousue de suppositions, aussi bien sur le plan des prédictions que sur le plan des capacités de son praticien. La charte contient donc la phrase qui encense le voyant en lui attribuant une compétence confirmée, grâce à son adhésion (la carte professionnelle, souvenez-vous, est une carte de « compétence » !) mais qui ne sert pas le consommateur, lequel ne parviendra jamais à déceler le « confirmé » chez son médium.
La jolie vitrine de la voyance
La charte de déontologie de l’INAD atteint-elle la belle mission qu’elle affiche sur son site internet : la protection du consommateur d’arts divinatoires ? Difficile de l’affirmer ! N’a-t-elle pas aussi, par cette même démarche, et au moins en partie, redoré la profession de la voyance, par l’octroi de compétences labellisées ? Chaque titulaire d’une carte de professionnel et adhérent à l’INAD (les deux souscriptions sont liées sur un même formulaire) a une jolie bannière INAD qui clignote sur son site internet. Bannière qui claque au vent devant vos yeux : la bonne voyance, c’est par ici ! On constate pourtant sur le site de l’INAD que le consommateur n’est pas défendu mais au contraire méprisé et renvoyé à sa sottise. Où apparaît la médiation ? Vous aurez du mal à la trouver… Parce que la médiation se fait en catimini. L’INAD « intervient discrètement auprès du cabinet et/ou du professionnel responsable de l’abus » (rubrique Foire aux questions). Discrétion totale pour les abus de voyance, mais affichage public sur le site pour les consommateurs plaignants - vite accusés - (rubrique Questions diverses). Comment comprendre la défense des clients et la moralisation de la profession dans ces conditions ?
Malheureusement il n’y a pas d’éthique possible dans la profession des arts divinatoires. S’en réclamer revient seulement à exercer un monopole de moralité et surtout à donner du crédit à une pratique paranormale lucrative.