Les nouvelles censures dans les coulisses de la manipulation de linformation
Paul Moreira
Editions Robert Laffont, 2007, 282 pages, 19 €.
« Vous allez découvrir les professionnels auxquels les journalistes doivent désormais faire face. Ils savent séduire. Intoxiquer. Donner toujours le sentiment de l’ouverture et de la transparence tout en provoquant l’autocensure. » Extrait, page 19. L’ouvrage de Moreira fait frémir. Il est journaliste d’investigation, il a créé et dirigé l’émission « 90 minutes » de Canal+. Il fait partie de ces journalistes rigoureux, convaincus, pugnaces, qui se cassent parfois les dents sur les « spin doctors », ces professionnels « rattrapeurs de situations mal emmanchées », qu’elles soient industrielles ou politiciennes. Les « spin doctors » apprennent à désinformer avec le sourire, n’interdisent rien, mais mettent en place les manœuvres les plus efficaces pour qu’une mauvais info ne soit, non pas censurée, mais passe inaperçue. C’est ainsi que les événements les plus graves, où des intérêts de dirigeants sont en jeu, deviennent des nouvelles à « bas bruit ». La censure, trop brutale, fait place à un vrai travail de modification de la perception du spectateur, de l’auditeur ou du lecteur. Deux exemples internationaux peuvent l’illustrer : la guerre en Irak et le procès contre Nelson Mandela pour avoir voulu fabriquer des génériques pour son pays.
La guerre en Irak : bien que l’administration Busch ait avoué qu’elle savait qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive en Irak, un américain sur deux croit toujours le contraire. Un chiffre en augmentation de 30% par rapport à l’année précédente. Fox TV a les moyens d’entretenir cette croyance : elle fabrique du patriotisme à grand renfort de communications stridentes, ne donnant qu’un faible écho aux communiqués de démenti : c’est l’info à bas bruit. Autre info à bas bruit aux USA : le nombre de morts irakiens. Il n’est jamais communiqué. Du moins jamais le récapitulatif depuis le début de la guerre. Les américains ont pourtant une démocratie on ne peut plus transparente : tous les documents officiels, même les plus compromettants pour l’administration, sont sur les sites internet nationaux. Mais la population est bien « éduquée » et ne va même pas les consulter.
Afrique du sud : en 1999, alors qu’Al Gore est vice-président des Etats-Unis, il entraîne 39 firmes pharmaceutiques américaines à porter plainte contre Nelson Mandela qui a annoncé, au vu de la catastrophe sanitaire dans son pays, son désir de fabriquer des médicaments génériques contre le sida. Les grands groupes pharmaceutiques s’y opposent fermement, défendant leurs intérêts. L’ONG « Médecins sans frontières » a beau hurler son indignation, la répercussion est faible. Pourquoi ce drame est-il passé silencieusement dans les médias alors que des millions de vie étaient sacrifiées sans état d’âme ? Parce que l’industrie pharmaceutique « travaille au corps le politique ». Avec 297 spécialistes en pression psychologique (ou « lobbyistes ») engagés – c’est-à-dire un sur deux sièges au congrès - elle s’assure d’arriver à ses fins. Al Gore s’y emploie.
Ce qui va faire se retourner la situation, c’est un événement mondial indépendant : le prix Nobel de
D’autres exemples, internationaux, mais aussi sur notre sol français, abondent dans le livre de Moreira. Ils sont toujours référencés, documentés, preuves à l’appui. Quand on referme l’ouvrage, on ne peut s’empêcher de penser que les journalistes d’investigation, souvent présentés comme des empêcheurs de tourner en rond, sont au contraire de vrais chiens de garde, et qu’il faudra que la démocratie préserve leur liberté d’action et d’expression, même si elle doit en être égratignée au passage.