La Grande muraille de Chine est-elle visible depuis l'espace ?
Une brève de Ciel et espace de mai 2007 annonce que des chercheurs chinois publient un démenti, dans Science et Technologie, sur la visibilité de la Grande muraille depuis l’espace. Ces chercheurs expliquent que l’œil humain ne peut distinguer un objet de 10 m de large au-delà de 36 km. Il est vrai qu’on la croyait même visible depuis la Lune, selon une légende ! Mais si la brève s’arrête là, voyons un peu ailleurs, sur le web, la chronologie de cette histoire on ne peut plus anthropocentrique. Martin Winckler, qui consacre un article à ce mythe sur son site, pense qu’il a été propagé par des écrivains européens du XX° siècle (Franz Kafka ?). Les lycéens en 1ére S du lycée Notre Dame Providence à Enghien-les-Bains dans le Val d'Oise, auteurs de TPE sur les idées reçues scientifiques , eux, pensent que ce sont les astronautes qui ont lancé la rumeur lors de la conquête de l’espace. Peu importe du reste ; ce qui est amusant, c’est que la légende rebondisse à chaque démenti.
En octobre 2003, le premier Chinois dans l’espace, Yang Liwei, affirme, un peu déçu, n’avoir pas vu la Grande muraille pendant son périple. C’est pourtant le plus long monument terrestre : entre 6500 et 7240 km, selon les raccordements que l’on comptabilise (les premiers murs ont été édifiés à la fin du V° siècle avant J.-C., puis les différentes dynasties qui ont suivi en ont ajouté, en particulier la dynastie des Ming, entre 1368 et 1644). Mais la longueur, si impressionnante soit-elle, ne joue pas sur sa perception de loin. C’est sur la largeur qu’il faut s’appuyer : entre 5 et 10 m, selon les endroits de la muraille.
Mais le 25 mars 2004, c’est l’ESA qui publie un communiqué validant à nouveau cette croyance par une photo prise par son satellite Proba, depuis une altitude de 600 km. Une photo à haute résolution, ça ne se conteste pas. Eh bien si ! Et par l’ESA elle-même, qui dément dans un communiqué du 19 mai 2004. Ce qui avait été identifié comme la Grande muraille n’était en fait qu’un cours d’eau.
Autre rebondissement : en mai 2005, un autre Chinois, Leroy Chiao, qui a passé 6 mois dans la station ISS (la station est à 400 km d’altitude), affirme, lui, photo authentifiée par la Nasa à l’appui, qu’il l’a vue. Le Monde du 4 mai 2005 s’en fait complaisamment l’écho et va jusqu’à écrire que Yang Liwei est « battu en brèche », comme s’il s’agissait d’une compétition…Le web relaie abondamment cette info, même le Routard qui titre sur son site « La Grande muraille immanquable depuis l’espace ».
On voit ainsi que si le mythe de sa visibilité depuis la Lune est bien caduque, celui de sa visibilité depuis l’espace, et en particulier depuis des vols spatiaux ou depuis une station, a bien du mal à reculer. Pourtant, un argument simple a été avancé : New York elle-même n’est pas visible de l’espace !
Quand j’emmène un groupe d’observateurs scruter la Lune avec un télescope d’amateur, j’entends souvent la question suivante, mi-sérieuse, mi-amusée : « Est-ce qu’on y voit le drapeau américain ? » Galéjade sans doute, mais qui dénote la passion de l'humanité à laisser ses traces visibles à travers l’espace. Pour se rassurer ?