De bien curieux arguments de la part des astronomes
Reconnaissons que les arguments des astronomes, ou des rationalistes en général, contre l’astrologie, manquent d’originalité. Souvent techniques, pointillistes, ils ne sont guère plus efficaces qu’un coup d’épée dans l’eau. L’article qui suit est de Didier Barthès, astronome, membre du conseil d’administration du CALA (Club d’Astronomie de Lyon Ampère). Il y développe un argumentaire original, avec les écueils à éviter face aux adeptes de l’astrologie. J’ai découvert son article dans la Gazette du CALA n° 65 (juillet 2002). Didier s’occupe des formations théoriques pour adultes – formations qui rencontrent un grand succès. Je le remercie de m’avoir autorisée à publier son article sur mon blog.
Agnès
De bien curieux arguments de la part des astronomes Didier Barthès
Parler d’astrologie reste un exercice délicat. Face à un auditoire adepte des horoscopes vous vous heurtez à un mur d’incompréhension et face à un public d’astronomes, vous ne prêchez qu’à des convaincus. C’est inutile et généralement ennuyeux. C’est pourquoi je vous propose d’aborder aujourd’hui une troisième voie, parler à des astronomes, oui, mais justement pour critiquer la façon dont ceux-ci rejettent habituellement les vues des astrologues. Passionnés d’astronomie et sûrs de notre bon droit, il me semble que nous répondons parfois aux astrologues d’une manière un peu légère. Nous utilisons des arguments qui, insidieusement, pourraient se révéler en leur faveur. J’illustrerai cette dérive par deux exemples : la nature des constellations et la réalité des actions à distance.
La nature des constellations
Sur les constellations, les astronomes font généralement grief aux astrologues de se tromper sur quatre points. Le zodiaque (bande du ciel centrée sur l’écliptique et dans laquelle « circulent » le soleil et les planètes) compte non pas 12 mais 13 constellations.
Ophiucus et le serpent
La treizième, Ophiucus (entre le Scorpion et le Sagittaire) est toujours ignorée de l’astrologie sans aucune autre raison que celle-ci une division de l’année en treize serait moins commode et n’offrirait aucune correspondance facile avec la plupart des calendriers. Du fait de la précession des équinoxes, les signes retenus par l’astrologie ne sont plus ceux qui résulteraient de l’observation du ciel actuel. Ainsi, un enfant né le 1er janvier est astrologiquement du signe du Capricorne tandis que le Soleil est à cette date dans la constellation du Sagittaire (rappel : notre signe astrologique est théoriquement celui de la constellation devant laquelle navigue le Soleil au moment de notre naissance). Les astrologues sont restés figés sur les configurations astrales d’il ya deux mille ans ! Les constellations ont changé au cours de l’histoire tant dans leur nom que dans leur définition. Ainsi, en passant des babyloniens aux grecs, le Journalier est devenu le Bélier et les Queues, une partie des Poissons. De même les constellations chinoises de l’époque impériale ne sont pas les nôtres. Telle étoile rattachée à une constellation dans une civilisation peut fort bien se trouver dans une autre pour une société différente.
Hercule d'Hyginus (1485)
Certains astronomes font alors remarquer qu’il est impossible d’attribuer une qualité à un signe si celui-ci n’est pas universel. Imaginez que vous soyez du signe du Lion pour votre clan et de la Gazelle pour le clan voisin ! Enfin le dernier grief, apparemment plus profond : les constellations ne sont pas des réalités, mais des apparences, de simples effets de perspectives. Comme le dit Leila Haddad dans un article de Ciel et Espace de février 2002 : « Ce sont de très artificiels agrégats d’étoiles qui, un jour, il y a longtemps, ont pris la forme que notre regard a bien voulu leur donner. » Les astronomes répètent d’ailleurs à l’envi qu’au sein d’une même constellation les étoiles n’ont souvent aucun lien entre elles et se trouvent à des distances fort différentes de la Terre. L ’ensemble de ces remarques ne touchent pas que notre signe, elles pourraient bien entendu s’appliquer à l’identique à l’ascendant qui résulte de la constellation se « levant » à l’instant de notre naissance. Tous ces arguments sont utilisés à foison contre l’astrologie. On tente ainsi, par mille détails techniques de montrer que les astrologues ne connaissent rien aux astres et sont bien en retard sur la science. C’est à mon sens une grande erreur car là ne se trouve pas l’essentiel. Le fait qu’un corps, le Soleil, les planètes, un papillon, ce que vous voulez, passe en perspective devant un autre ensemble de corps ne nous permet en aucun cas d’en tirer des conclusions quant au destin ou au caractère de telle ou telle personne, fût-elle née au moment de cette « conjonction ». Là et seulement là se situe le cœur du problème. Cela résulte moins d’ailleurs d’une question d’astronomie que de logique car le principe de l’astrologie pourrait s’appliquer au mouvement de n’importe quel objet et pas seulement à celui des astres. C’est pourquoi se battre pour les arguments que j’ai cités me paraît dangereux. Non seulement on ne s’attaque qu’à la surface des choses, on laisse a contrario entendre que si ces données étaient différentes, alors l’astrologie aurait un sens. Or, si toutes les étoiles d’une constellation appartenaient à un ensemble cohérent, un amas lié par la gravitation par exemple, si les constellations avaient de tout temps et en tout lieu connu la même définition et la même appellation, si la précession des équinoxes n’existait pas, si le zodiaque ne contenait que douze constellations sagement rangées et scrupuleusement espacées de douze degrés chacune, alors l’astrologie resterait toujours aussi inepte et dénuée de fondement.
Hercule de Bayer (1603)
La réalité des actions à distance et leur interprétation
Toutes les réfutations de l’astrologie n’ont de sens que si l’on admet au préalable que les astres peuvent avoir une influence sur nous. Si tel n’était pas le cas, alors il serait inutile de discuter des heures durant du détail des éléments à retenir ou pas (position et choix des planètes, définition des constellations…). Il existe donc une manière radicale de réfuter l'astrologie consistant à scier la branche dès sa naissance en niant toute possibilité d’influence des astres ou bien en la rendant si infime qu’elle puisse être négligée dans tous les cas. C’est une tentation à laquelle succombent bien des astronomes. Cette méthode efficace qui évite de se noyer dans mille petits problèmes n’est pourtant pas sans en poser d’autres. Par quelle voie les astres pourraient-ils agir sur nous ? Sauf à inventer des forces imaginaires, mais en ce cas, plus aucune réfutation et de là plus aucun débat n’est possible, seule la gravitation semble pouvoir être invoquée (le magnétisme aussi peut-être, quoiqu’on ne voie pas trop par quelle voie). Les astrologues eux-mêmes nous y encouragent qui, souvent, pour défendre leur science, rappellent que la Lune par exemple a bien une influence gravitationnelle puisqu’elle est responsable des marées ; mais ne soyez pas cruels, ne leur demandez pas le détail de l’affaire ! Ne pouvant tout à fait nier l’existence de la gravitation les astronomes répliquent que l’attraction des planètes est absolument infime et ne peut en aucun cas nous influencer. Qu’en est-il exactement ? Comparons l’influence gravitationnelle de trois objets sur nous : la Terre (c’est-à-dire la pesanteur), la planète Jupiter et un objet de la vie courante, par exemple une voiture à 10 m (imaginez qu’une voiture se garant devant la maternité le jour de votre naissance vienne déterminer votre caractère !). La force de gravitation qu’exerce un corps est proportionnelle à sa masse et inversement proportionnelle au carré de la distance à laquelle il se situe. Cette force se traduit par une accélération qui se calcule en multipliant ces données par la constante de Gravitation
G = 6,67 x 10-11 N m2 kg-2
Comparons donc :
La Terre : masse 5,97 x 1024kg, distance : 6371 km soit à 6,37 x 106 m (distance jusqu’au centre du globe sachant que nous nous situons en surface). L’accélération générée par la Terre est donc de : (5,97 x 1024 / (6,37 x 106) 2) x 6,67 x 10-11 = 9,81 ms-2. On reconnaît là, comme annoncé, l’accélération de la pesanteur.
Jupiter : masse 1,90 x 1027 kg, distance 590 millions de km, soit 5,90 x 1011 m (distance approximative lorsque Jupiter est au plus près de la Terre , c’est-à-dire en opposition). L’accélération générée par Jupiter est donc de : (1,90 x 1027 / (5,90 x 1011)2) x 6,67 x 10-11 = 3,64 x 10-7ms-2.
Une voiture à 10 mètres : masse 1000 kg, distance 10 m. Accélération générée : (1000/102) x 6,67 x 10-11 = 6,67 x 10-10 ms-2.
A ce jeu des petits calculs, chacun trouve son compte. Les astronomes feront remarquer que l’accélération que Jupiter nous impose est quasi inexistante face à celle de la pesanteur, elle est 27 millions de fois plus faible. (9,80/3,64 x 10-7 = 2,69 x 107). A l’inverse les astrologues se targueront du fait qu’une planète garde une influence gravitationnelle très supérieure à celle d’un objet de la vie quotidienne. Ici l’attraction de Jupiter vaut un peu plus de 500 fois celle de la voiture à 10 m : (3,64 x 10-7 / 6,67 x 10-10 = 546). Le raisonnement conduit également à des conclusions ambivalentes. De fait les astrologues peuvent arguer qu’une influence petite au départ peut avoir à long terme des conséquences très importantes. Les récents développements mathématiques des théories du chaos vont en ce sens et on découvre de plus en plus de systèmes où la sensibilité aux conditions initiales est immense. En astronomie notamment, on a montré qu’une imprécision de seulement quelques mètres sur la connaissance de la position de la Terre aujourd’hui conduisait à une incapacité complète à prédire sa position à moins de 150 millions de km, 100 millions d’années plus tard ! La naissance des ouragans, le trajet des boules de billards, mais aussi peut-être le développement des guerres, sont soumis à cette infinie petitesse des causes !
Les astronomes, eux, noteront que curieusement, les astrologues ne s’intéressent qu’aux petites causes. Ainsi, l’attraction de n’importe quelle planète sur notre corps reste des millions fois plus faible que d’autres événements de nature non astronomique. Un mouvement de la mère, un geste de la sage-femme à la naissance d’un enfant le soumettent à des accélérations des centaines de milliers de fois supérieures à celle des astres (Terre excepté, mais ça, c’est pour tout le monde, indépendamment de notre signe astrologique. On ne peut donc pas faire d’horoscope dessus). Mais ces causes-là, bien entendu personne n’en prend note et nul ne peut les utiliser. Pourquoi d’ailleurs se limiter aux influences de l’instant de la naissance ? C’est l’ensemble du passé qui détermine le futur.
On voit par là que ce genre de débat ne mène pas loin et ne convainc personne. C’est que la vraie question ne se pose pas ainsi. Elle ne se pose pas en termes d’importance des influences mais en termes de capacité à prévoir. La démarche astrologique relève en effet du schéma suivant : trois montagnes sont au loin, appelons-les « constellation du triangle ». Un oiseau passe entre elles et vous : faut-il en conclure quelque chose ? Stricto sensu on ne peut affirmer (comme le font imprudemment les astronomes), que c’est sans influence. Le regard que vous lui accorderez vous retardera peut-être d’une seconde, vous évitant ou au contraire créant un accident de la route, une cellule de votre corps bougera sous votre mouvement et votre futur enfant, engendré d’une cellule différente sera un génie quand il aurait été dictateur (ou l’inverse) etc.. Par contre si les astronomes sont imprudents, les astrologues sont malhonnêtes car si influence il y a, il est impossible de la décrypter à l’avance. Nul ne pourra jamais dire si la seconde passée à regarder l’oiseau vous entraînera vers tel ou tel destin. Dans ce contexte, discuter de la taille de l’animal est inutile, il en est de même pour les planètes : mesurer l’importance de leur influence gravitationnelle (ou magnétique, ou ce que vous voulez) ne change rien à l’affaire.
Nous retrouvons là la conclusion du paragraphe précédent et là aussi, les astronomes font une grande erreur en tentant de prouver scientifiquement la petitesse des influences astrales. Sur le fond ils ont tort car « petit » ne signifie pas « négligeable » et sur la forme ils se trompent également, puisqu’ils laissent entendre par leur réponse que si l’influence était grande, l’astrologie aurait un fondement, ce qui n’est pas exact. Evidemment, admettre qu’aucune influence n’est négligeable semble être une concession faite aux astrologues et chacun sait bien qu’ils s’engouffreront dans la brèche pour dire : « Ah ! Vous voyez bien ! » Oui mais c’est le prix de l’honnêteté. N’ayons aucune crainte, sur ce terrain-là, l’honnêteté, les astrologues sont toujours perdants. Et puis il reste quand même des arguments : aucune étude statistique n’a jamais montré une quelconque corrélation significative entre les signes du zodiaque et le caractère et la destinée des hommes.
Quoique… il parait que tous les Gémeaux fêtent leur anniversaire en mai ou juin. Mystère !
Illustrations tirées de Les étoiles et les curiosités du ciel, éditions C. Marpon et E. Flammarion, 1882. Exemplaire personnel.