Miroir, miroir, dis-moi
Sur un site internet « au service de la création et des échanges littéraires en Suisse », je découvre ce matin une explication à la question suivante : « Pourquoi un miroir inverse-t-il la droite et la gauche, et pas le haut et le bas ? » Michel Thevoz, historien de l’art, y répond de façon très originale et claire : « Le haut et le bas, ce sont des pôles objectifs, ou en tout cas communs à tous ceux qui vivent dans la même aire géographique, nous avons vous et moi le même haut et le même bas. Tandis que la droite et la gauche, c'est subjectif, je déplace ces pôles avec moi quand je me retourne. » Il précise alors que la droite et la gauche ont leur équivalent objectif dans notre aire géographique : l’est et l’ouest. Or le miroir n’inverse ni l’est ni l’ouest, qui, comme le haut et le bas, sont des référents extérieurs communs à tous. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une véritable inversion, mais d’un retroussement. Si je vois ma main gauche devenir main droite dans le miroir, c’est comme avoir retroussé un gant. Et Michel Thevoz de donner l’exemple de l’inscription POLICE sur les véhicules officiels, qui doivent pouvoir être lus dans les rétroviseurs. Les policiers préviennent ainsi notre propension à vivre « retroussés » ! L’auteur raconte aussi, comment, en regardant une vidéo qu’il a faite de lui, il est troublé de ne pas se voir inversé ; il écrit : « Le pire, c'est que nous préférons cette version inexacte au reflet plus objectif que pourrait nous offrir par exemple le cinéma ou la vidéo. » Une question me vient alors à l’esprit : pourquoi, dans certains – certains seulement - reportages télévisés se déroulant à l’extérieur, voit-on les enseignes inversées comme dans un miroir ? L’inversion a dû se faire au montage, mais pourquoi et comment ?
Z'auriez pas un miroir ? J'ai perdu le sens de l'orientation...
J’aimerais mentionner une situation où nous ne sommes pas si à l’aise avec notre image retroussée : dans un télescope de type Newton (dont le principe est celui de la réflexion de la lumière sur un miroir principal, puis un secondaire), l’image de l’espace est aussi inversée. Bien sûr c’est sans importance quand on explore l’espace dit « profond », une galaxie par exemple, car les référents de notre aire géographique perdent leur sens. Sauf que, quand on observe la surface d’un objet proche comme la Lune, et que, surtout, on veut aider des observateurs à s’y repérer, il faut faire une sacrée gymnastique de l’esprit. Pendant qu’une personne met l’œil à l’oculaire et voit les formations lunaires inversées, d’autres regardent à l’œil nu et les voit différemment. Difficile de synchroniser tout le monde !
Pour terminer, Michel Thevoz se demande pourquoi nous préférons notre image inversée à celle, objective, de la vidéo. Il suppose le regard de la mère dans la tendre enfance… Je suis sceptique. Je songe plutôt à cette omni présence du miroir dans nos vies, dès le berceau. Quel jouet pour bébés ne possède pas son miroir ? Quels jeux ne fait-on pas tous avec eux, devant les miroirs : grimaces, expériences, essais de communication par son intermédiaire ? Le bébé est tout de suite mis devant son image dans le miroir. Les parents se réjouissent d’ailleurs quand le jeune enfant, vers 18 mois, va montrer qu’il s’y reconnaît ! Notre aisance avec notre image « retroussée » vient peut-être de là, de cet objet culturel si bien intégré à notre quotidien. Et pourtant le jeune enfant ne maîtrisera pas cette "chiralité" avant 5 ans. Dur, dur, de s’admettre « retroussé » !
Illustration de José Tricot, dessinateur pour l'AFIS. Texte Agnès Lenoire