AO le dernier néanderthal – le bon sauvage ?
J’ai vu le film, réalisé par Jacques Malaterre, la semaine dernière. J’étais fort intriguée de savoir si la fiction l’emporterait sur la science, et si les découvertes de ce printemps y seraient intégrées. J’y ai pris plaisir car, au cœur de l’aventure de cet homme qui voit son clan disparaître, on fait connaissance avec un être humain, pas une brute archaïque. Le mythe de la brute épaisse, sans culture, est en voie de s’écrouler. AO, notre héros, est donc néanderthalien, survivant de sa tribu décimée en Sibérie, et va entreprendre de retrouver son clan d’enfance, en Europe méridionale. Sur son chemin, il rencontre les sapiens, aux habitus étranges pour lui, et physiquement très différents,.
Le film nous montre pourtant deux espèces avec des points communs essentiels : la vie en groupes, la maîtrise du feu, d’outils, l’accès à l’abstraction révélé par la confection d’objets symboliques. C’est juste l’expression de leurs cultures qui est différente : sapiens se peint le visage, néanderthal, non. Comme sapiens, néanderthal a une vie spirituelle, il porte des amulettes, attache de l’importance à l’arrangement des morts. Sapiens peint déjà les murs, néanderthal, non. Sapiens diversifie son alimentation, alors que néanderthal, force de la nature, grand chasseur, préfère la viande. Tout cela est bien présent dans le film.
Par contre ce qui paraît relever de la pure hypothèse est le fait que néanderthal ait été beaucoup plus proche de la nature que sapiens. On voit le héros AO s’attendrir devant un oiseau posé sur son doigt, taper cordialement l’arrière-train d’une jument qu’il vient de traire pour nourrir un bébé. Sapiens est dépeint plus agressif, pratiquant le sacrifice humain, et plus pointu dans l’art de la chasse (dans le film, la femme sapiens initie AO au lancer de javelot). Sapiens montre déjà des aptitudes à dompter son environnement, alors que néanderthal se coule dans le moule de la nature. Cette image ne serait-elle pas calquée sur une morale liée à l’actualité et historiquement peu étayée ? Faut-il faire remonter notre agressivité envers la nature à une période comprise entre 80 000 et 30 000 ans ? Ne s’agirait-il pas d’une transposition du mythe du bon sauvage ?
Avec une telle image d’épinal, le risque est grand d’inverser exactement le travers dont souffrait néanderthal depuis la fin du XIX°. La brute sanguinaire sans culture, réputation injustifiée – sinon par refus d’une autre humanité - se transformerait alors en être de nature angélique tout droit sorti de l’œuvre de Rousseau. J’ai des doutes sur la solidité de cette image, pas plus fiable que son revers.
Qu’en est-il de la découverte de ce printemps 2010, à savoir que les deux espèces ont bien mélangé leurs gènes ? Elle est bien prise en compte dans le film, puisque AO et sa compagne de route sapiens finiront par faire un enfant ensemble. Sauf que le film se situe à la fin de l’ère néanderthalienne (environ 30 000 ans), alors que les scientifiques affirment que le mélange s’est fait dès la sortie d’Afrique des néanderthaliens, il y a 80 000 ans.
J’ai l’air de critiquer ce film, mais rassurez-vous, je l’ai trouvé excellent, car réhabilitant l’image de notre cousin. C’est ce message-là qui devait être transmis. Message reçu, convaincant, adossé à une documentation solide sur les modes de vie des deux espèces. La grande aventure de nos deux héros fera le reste : émotions, suspense, combats et grandes immensités. Un « road movie », bien avant qu’il y ait des routes.