Les enfants nés en décembre défavorisés ?

Publié le par Agnès Lenoire

Reveur.JPGSuite à l'étude de l'économiste Julien Grenet, qui a fait l'objet d'une page complète dans l'édition du Monde daté du mercredi 29 décembre 2010 (article "Les auspices de décembre"), voici la  réaction que j'ai envoyée au journal et qui a été en grande partie publiée  en "courrier du jour" mardi 4 janvier 2011.

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Vous avez bien fait  de commencer cet article par une comparaison avec l’astrologie. Les points communs de cette étude avec cette dernière sont en effet multiples : le déterminisme bien sûr, mais aussi la fatalité (c’est-à-dire le déterminisme affublé de l’impuissance), la présence d’une cause (un mois, ou un astre) visible par tous mais non reconnue, et surtout les spéculations hasardeuses issues de ces constats calendaires.

Pourtant, je suis parfaitement d’accord avec les premiers points de cette étude. Étant enseignante en section de petits à l’école maternelle, je constate  effectivement que les enfants nés en fin d’année sont en décalage temporel avec ceux du début d’année civile dans leurs apprentissages.  Si l’on considère qu’ils ont 36 mois en moyenne à leur entrée à l’école  maternelle, et qu’il y a 11 mois de décalage entre les élèves nés en janvier et ceux de décembre, cela ne fait pas loin de 30% d’expériences de vie en moins pour les natifs de décembre.  Un tiers d’expériences de vie, c’est autant de découvertes, d’apprentissages, de confrontations, de réflexions non réalisées. Une somme énorme chez un bambin né seulement 3 ans auparavant, mais que chacun comblera  petit à petit. Les difficultés résiduelles ne seront pas pour autant, à terme, dues au mois de naissance.  Il faudrait refaire le tracé détaillé de son parcours de vie pour pouvoir l’affirmer.

 

L’enfant de décembre n’est pas pour autant « en retard ». Il n’est pas obligatoirement noyé dans les  difficultés scolaires. Tous les enseignants savent détecter un  simple décalage dû au mois de naissance, une maturité en train de se former, et de réelles difficultés. Ne faisons donc pas de ce qui n’est qu’un rythme de vie un nouveau sujet de discrimination.

 

Revenons à l’étude et à ses spéculations sur l’avenir de ces élèves. Comment se fait-il que l’étude n’ait été faite que pour les natifs de décembre et de janvier ?  Je serais curieuse de savoir quels seraient les résultats pour une étude faite sur la même cohorte (celle de 1986) pour chacun des  dix autres mois ! Pas vous ? Sans ce moyen de comparaison, sorte de cohorte de référence, aucune conclusion ne peut en être déduite sur la valeur prédictive de ces deux mois de naissance privilégiés par l’auteur : le premier et le dernier.

 

Quant aux solutions proposées, elles me laissent perplexe : Julien Grenet propose de pondérer les résultats en fonction du mois de naissance.  Et que faire alors de ceux qui sont à la marge ? Admettons que les résultats des plus jeunes, donc nés en novembre et décembre, soient « pondérés ». Qu’advient-il de ceux nés le 31 octobre ?  Ceux-là seront sans doute un jour un objet d’étude  pour un économiste qui traitera à coup de pourcentages les injustes inégalités entre ceux qui bénéficient d’un avantageux « pondérage » et ceux qui en sont bafoués pour une prématurité de 24 heures ! Le problème n’est que déplacé, pas résolu.

 

Pour conclure, je  signale à Julien Grenet que la solution existe et qu’elle est mise en pratique : il s’agit des cycles, mis en place par la loi d’orientation de 1989, et  qui permettent à un élève d’avoir plus d’une année pour  valider ses apprentissages (le redoublement est interdit avant la fin d’un cycle).  Ainsi le découpage arbitraire et sans souplesse de l’année civile est modérée (pondérée, dirait l’économiste). 

Publié dans Éducation

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V
Merci pour ces bons conseils….c’est très agréable de vous lire…..et instructif…….
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H
<br /> <br /> Mouna, il s’agit de probabilités, bien sûr qu’il n’y a rien de déterministe !<br /> <br /> <br /> C’est comme si je vous parlais de la stature des hommes, en moyenne 10 cm de plus que les femmes, et que vous me répondiez : « c’est faux parce que je suis plus grande que mon frère »...<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> Bonjour, Je ne suis ni professionnelle de l'enseignement ni chercheur mais j'ai 4 frères et soeurs nés de 4 mois différents et nos parents (cadres) n'étaient pas tantôt des ouvriers, tantôt<br /> enseignants, tantôt cadre... Je n'accorde aucune crédibilité à cette partie de l'article de mme M.Baumard selon lequel les pics de naissances varient selon les classes sociales.<br /> <br /> <br />
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H
<br /> <br /> <br /> L'étude est là :<br /> <br /> <br /> http://www.jourdan.ens.fr/grenet/Articles/Grenet2008.pdf<br /> <br /> <br /> Je n'ai pas beaucoup le temps d'approfondir, mais à première vue l’auteur prend beaucoup de précautions méthodologiques. Il n’est certainement pas à l’abri de toute critique (mais pourquoi diable<br /> le modèle probistique ?!), mais si erreur méthodologique il y a elle n’est pas aussi simple ! L’auteur a bien considéré tous les mois de naissance, le contraste janvier/décembre n’est qu’un<br /> résumé commode des écarts extrêmes.<br /> <br /> <br /> <br />
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H
<br /> <br /> Juste un point de méthodologie : je n’ai pas (pas encore) regardé cette étude, mais le fait d’avoir sélectionné les deux extrêmes du spectre (janvier et décembre) a d’énormes avantages<br /> méthodologiques, et ne peut pas biaiser le résultat.<br /> <br /> <br /> Cependant, ce commentaire ne vaut que si les auteurs ont décidé au préalable de ne collecter des données que sur les enfants nés ces deux moi-ci. Si ils avaient d'autres données disponibles et<br /> qu’ils ont décidé a posteriori de ne pas mentionner ce qui ne cadrait pas, c’est un autre problème.<br /> <br /> <br /> Je vais regarder l’étude...<br /> <br /> <br /> <br />
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