Prodigieuses créatures

Publié le par Agnès Lenoire

Tracy Chevalier

Prodigieuses créatures

Éditions Quai Voltaire/La table ronde, 2010.

376 pages, 25 euros.

 

Les prodigieuses créatures, le centre de ce récit, objets de toutes les attentions, mercantiles et scientifiques, ce sont les fossiles. Nous sommes dans le sud de l’Angleterre, à Lyme Regis, au tout début des années 1800. Mary Anning, petite déjà, ramassait des ammonites avec son père sur l’immense plage de cette région du Dorset. Le père, menuisier endetté, tentait d’arrondir ses faibles revenus en les vendant aux touristes. Quand le père décéda, la famille se retrouva  dans la misère, avec pour toute perspective l'hospice des pauvres. La petite Mary, à la fois en souvenir de son père et par nécessité, redoubla donc d’activité sur la plage afin de vendre toujours plus de fossiles. Son œil s’aiguisa, et avec le petit marteau que lui avait offert son père, et qui ne la quittera plus, elle dégagera toujours plus de fossiles.  Un jour, elle deviendra célèbre, mais avant d’en arriver à cetProdigieuseste notoriété, il faudra l’aide énergique d’une femme.

 

Cette femme, ce sera Élisabeth Philpot, une londonienne venue s’installer à Lyme pour des raisons familiales, de 20 ans son aînée, vieille fille, et amateure passionnée de fossiles. Mary et Élisabeth, toutes deux chasseuses de fossiles, se rencontrent logiquement sur la plage alors que Mary n’a que douze ans et montre déjà de grandes compétences : œil de lynx, connaissance du milieu, précision du geste, amour du travail bien fait, patience  à toute épreuve. Élisabeth est impressionnée et guide Mary vers la théorie. Grâce à elle, Mary lira les ouvrages de Cuvier et de Lyell. Le duo fonctionne à merveille, leur passion les liant irrémédiablement. Elisabeth est une férue de poissons-fossiles. Étant d’un rang social plus élevé que Mary, Élisabeth n’est pas obligée de vendre ses récoltes pour vivre. Elle les étudie, les classe, les expose chez elle, écrit aux scientifiques. Les plus grands de l’époque viendront les examiner.  

 

Quand Mary  détecte et dégage sa première tête d’ichtiosaure, elle pense, comme tout le monde dans sa petite ville, qu’il s’agit d’un crocodile. Elle n’aura de cesse de trouver le reste du corps et de le reconstituer soigneusement. Mary découvrira aussi plusieurs plésiosaures, ainsi que le premier ptérodactyle trouvé hors d’Allemagne. Élisabeth et elle se poseront des questions sur la nature de ces bêtes. Élisabeth explique à Mary, ainsi qu’au curé de la paroisse, que ces créatures n’existent plus et que c’est la preuve qu’une disparition d’espèces est possible, que tout n’est pas fixé. Mais le sujet est proprement écarté, pas seulement par le curé, mais aussi par les habitants, et s’il n’est pas écarté, il est renvoyé aux versets bibliques. L’auteure montre bien le tabou que représente à cette époque l’idée de changement dans la nature, et combien il était dérangeant et imprudent de remettre la religion en question.

 

Mary Anning, rendue vulnérable et timide par la pauvreté,  se voyant interdire tout accès à la « bonne » société, se fera voler ses découvertes par des collectionneurs peu scrupuleux. Les collections sont alors très en vogue et les acheteurs sont souvent plus vaniteux que connaisseurs. C’est Élisabeth qui livrera une bataille acharnée en faveur de Mary, se déplaçant jusqu’à Londres, et faisant le siège de la Geological Society, interdite aux femmes, pour faire entendre la vérité, et convaincre ses membres du sérieux de la jeune découvreuse.

 

Tracy Chevalier a brossé le portrait touchant d’une belle amitié, scellée par la science et le besoin de vérité et de reconnaissance. En postface, elle explique quelle fut la part romancée : la rumeur qui a couru sur une liaison de Mary est devenue fait réel sous la plume de l’écrivaine. Le reste est historique.

 

À Lyme, un musée « Élisabeth Philpot » a été bâti à l’emplacement même de la maison où est née et a grandi Mary Anning. Les ichtyosaures et plésiosaures de Mary sont au Museum d’Histoire Naturelle de Londres.

Agnès Lenoire

Publié dans Notes de lecture

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