JFK contre Roswell : le relativisme historique à l’honneur
J’ai sous les yeux un livret édité par Librio qui vaut son pesant d’or : Les grandes énigmes de l’histoire, par Kevin Labiausse. En le voyant, deux choses réveillent la petite voix rationaliste en moi : la couverture, d’abord, parce qu’elle présente un extraterrestre pur jus : long gringalet, grosse tête en poire renversée, yeux comme des grottes, oui c’est bien lui, Roswell ! Et puis le sous-titre : de l’Atlantide à la mort de JFK.
Si, comme moi, vous aviez l’habitude de faire une différence de statut (et de traitement intellectuel) entre l’enquête pour découvrir l’assassin de JFK, et les élucubrations des ufologues, oubliez vite cette distinction vainement rationnelle. Dans ce livre, tout y est pêle-mêle : la religion, avec une part non négligeable accordée à la bible : le déluge, la tour de Babel, le suaire de Turin, les mines du roi Salomon, Lourdes, mais aussi les mythes : le monstre du Loch-Ness, l’Atlantide, le triangle des Bermudes. Que reste-t-il à l’histoire ? Bien peu de pages en fait ! L’assassinat de JFK, la mort de Louis XVII, la mort de Napoléon, Anastasia.
Le gros défaut de ce livre est donc le mélange des genres. Cette confusion aurait pu être atténuée en séparant les chapitres en deux parties : par exemple une partie « Faits historiques non résolus » et une autre « Mythes et légendes». Mais le plus grave c’est que le contenu même des chapitres n’apporte aucun éclairage critique, ne démystifie aucune légende, mettant ainsi sur le même plan la croyance, la valeur d’un écrit biblique, et les faits historiques établis, avec leur cortège de questions restées sans réponse. C’est assez grotesque.
Par exemple, le chapitre sur le suaire de Turin se conclut par : « Le suaire de Turin, objet de ferveur pour les uns, continue d’être un sujet de questionnements et d’affrontements scientifiques pour les autres. » L’auteur, K. Labiausse, connaît mal ce dossier. Il n’y pas d’affrontements scientifiques sur ce sujet, seulement des divergences entre illuminés et scientifiques. Lire l’étude du professeur Henri Broch à l’adresse de son laboratoire (Université Nice-Sophia Antipolis). Le suaire est bien un faux du Moyen-Âge, époque coutumière des fausses reliques.
Et que penser du chapitre consacré à Nostradamus ? L’auteur en pense beaucoup de bien, lui. Il énumère soigneusement les bonnes prédictions réalisées par lui :
page 46 : « Nostradamus n’a-t-il pas dans ces vers prophétisé l’assassinat du duc de Guise ? », « Nous retrouvons dans ces vers les éléments de l’événement du 30 juin 1559 […] »
page 47 : « Il annonce la condamnation à mort de Charles 1er […] », « La dernière ligne n’évoque-t-elle pas les troubles meurtriers de la Révolution ? »
page 48, pour la conclusion, « […] comment ne pas être troublé par tant de prophéties que l’histoire a validées ? »
Bigre, je vais finir par y croire !
Comment ne pas être effaré par tant de crédulité et de relativisme ? Mettre toutes les connaissances sur le même plan, c’est à la fois la grande tendance et le grand danger de notre vie intellectuelle.
Cela ne signifie pas que les croyances, la religion, et les mythes ne fassent pas partie de notre histoire. L’histoire intellectuelle de l’être humain est façonnée à la fois par ses mythes, premiers signes de l’accès à l’abstraction par le cerveau, et par sa quête permanente de compréhension, de logique, de preuves. Ces deux facettes de notre manière d’appréhender le monde peuvent vivre côte à côte, mais pas mélangées. Le relativisme, en mixant toutes les idées, ne permet plus la distinction, pourtant naturelle, entre rationnel et irrationnel.
Voir un ouvrage à 3 euros, qui va donc se vendre comme un petit pain, propager le relativisme historique, est assez désolant. L’auteur n’en est pas à son coup d’essai : il a aussi publié Les grands discours de l’histoire. Et la série des discours commence par…. ça ne s’invente pas : celui de Moïse sur le mont Sinaï ! pour se terminer par celui de Villepin à l’ONU. Pauvre Villepin !