Histoire du méchant loup

Publié le par Agnès Lenoire

M-chant-loup-copie-1.jpg3000 attaques sur l’homme en France – XVe – XXe siècle
Auteur : Jean-Marc Moriceau
Éditions Fayard, 605 pages, 2007.
 
Le mythe du loup effrayant sorti du bois, qui hante les contes et l’imagerie populaire est en passe de laisser la place à un culte du loup auréolé de toutes les qualités, sous l’effet de militants écologistes actifs. Les deux attitudes sont toutes deux fondées sur des allégations plus ou moins fausses. Le loup n’est ni monstrueux, ni angélique. Comme d’habitude, les événements chargés d’émotion sont difficiles à gérer avec modération. Le livre de J.-M. Moriceau est en cela un outil d’analyse historique appréciable car il cherche à redonner au loup sa juste place dans l’histoire de ses relations avec l’homme. L’auteur est professeur d’histoire moderne à l’université de Caen  et spécialiste des sociétés rurales. L’  Histoire du méchant loup  qu’il nous livre n’a pas pour objectif de le diaboliser à nouveau, mais de s’approcher le plus possible de la vérité. Quelle est-elle, cette vérité ?
-         D’abord, et l’auteur insiste bien sur ce point, le loup n’est pas anthropophage par nature. Le loup a avant tout peur de l’homme. Le phénomène d’anthropophagie, reconnue ayant existé par l’auteur, est donc rare, mais il a marqué les esprits.
-         La négation de toute attaque sur l’homme, propagée par les partisans du retour du loup, nous éloigne de la vérité historique en discréditant les acteurs des siècles précédents qui n’ont pas tous été victimes de phobies ou de mythes.
Notre historien a effectué un travail de recherches sur les archives paroissiales très impressionnant, mais aussi sur les procès-verbaux des louvetiers de l’époque, et les comptes-rendus des militaires parfois chargés de protection en cas d’attaques répétées. Mais il reste beaucoup à faire dans les études; des zones d’ombres subsistent, laissant la place aux mythes grandiloquents et parfois peu réalistes, comme dans l’affaire du Gévaudan, où la presse a joué un rôle d’amplification et de déformation au-delà des frontières.
Monsieur Moriceau s’appuie d’abord sur les archives paroissiales, car à partir de 1668, la tenue du registre devient rigoureuse ; les curés de campagne sont obligés, pour des obsèques conformes au culte d’enterrer un corps ou des morceaux de corps,  et de noter les détails concernant la personne décédée. Les curés se laissent parfois aller à décrire la cause de la mort en y apportant le témoignage d’autres acteurs du drame. C’est dans ce type d’archives qu’on découvre l’horreur qu’ont vécu les familles perdant un enfant gardien de troupeau, déchiqueté ou en partie emporté. En nombre, ce genre de décès ne faisait pas le poids par rapport à la misère, aux guerres et aux famines, mais l’innocence des victimes (presque toutes des enfants), la surprise, l’impression d’un loup rusé, à l’affût, et la précarité des familles des victimes, ont construit le mythe d’un loup diabolique. Comment en sont-ils arrivés à cela, les quelques loups avides de chair humaine ? D’après l’auteur, les guerres effroyables qui laissaient les champs de bataille comme des charniers peuvent en être tenus responsables. C’est sur ces champs sanglants que des loups affamés ont goûté à la chair humaine, puis y ont pris goût. Après les corps morts, ces quelques loups, opportunistes, s’en sont pris à des proies faciles, enfants, tout jeunes gens ou femmes qui gardaient les bêtes. D’après les archives militaires, au XVe, XVIe, ou XVIIe siècle, les jeunes gens ne pesaient pas lourd et ne mesuraient pas plus de 162 cm en moyenne. Une population miséreuse, fragile, des enfants en retard de croissance, premières victimes du loup.Louvetier-tuant-Loup.JPG
Avec l’ouvrage de Moriceau quelques mythes tombent, à la fois sur la géographie et la temporalité : le loup ne hante pas les montagnes. Les Alpes en comptent peu ; la nourriture y est trop difficile à chasser. Les paysages les plus propices au loup, ce sont les vallons, les bocages, les grottes à flancs de roches (Gévaudan, Corrèze), les escarpements, et les bois dispersés (Bourgogne, Gâtinais). Le loup se tient au bord du bois, là où justement les bêtes viennent paître (et où les enfants les surveillent), car en été l’herbe y pousse mieux à l’ombre du bois. L’attaque a lieu en bordure du bois, puis la proie est entrainée à couvert sous les arbres. Les vastes forêts ne voient guère d’attaques de loups, car n’y résident que les chasseurs et les bûcherons, armés jusqu’aux dents, et aucun bétail. La saison non plus n’est pas celle qu’on croyait : en hiver, la faim ne fait pas toujours sortir le loup du bois, même si de rares attaques sont répertoriées. La saison où le risque est grand, et où le nombre d’attaques monte en flèche, c’est l’été. Parce que tout le monde est dehors ! L’auteur appelle cela « la sociabilité de plein air ». Et les petits gardiens de bétail sont « en pâture », et donc à portée du prédateur. Entre 1572 et 1918, le nombre d’attaques a été de 88 en janvier et 224 en juillet, et elles ont, pour la plupart, lieu en plein jour.
Le conte « Le petit chaperon rouge »  a été écrit en 1695. Ces années-là ne sont pas anodines : les statistiques rapportent une recrudescence de misère après les guerres de Louis XIV, ainsi qu’une recrudescence d’agressions lupines, à un taux qui ne sera plus jamais atteint par la suite. Le petit chaperon rouge est une fiction qui s’appuie sur la réalité rurale de cette époque. Le conte décrit d’ailleurs l’environnement favori du loup : le chemin bordant le bois, l’alternance bois et clairières, et les petits boulots, charges familiales, dévolus aux enfants. Pour les années 1690, l’évaluation est de 750 à 1500 victimes du loup. Charles Perrault n’avait que l’embarras du choix pour ses sources d’inspiration.
L’ouvrage de Moriceau est un monument de documentation rigoureuse. Suivre avec lui les traces du loup nous fait découvrir la sociologie des campagnes. Le loup devient alors un « révélateur du fonctionnement des sociétés humaines », et ce pavé de 600 pages est une riche contribution au débat actuel sur la place du loup dans notre environnement.
 

Publié dans Notes de lecture

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M
Il y a eu de gros débats sur ce livre, prouvant je crois qu'il n'est rien de plus qu'un imposteur. Si les loups avaient réellement attaqué l'homme comme il le prétend, ça se saurait depuis longtemps. Plutôt que de pondre 600 pages d'inepties, pourquoi ne pas apporter une preuve concrête (qui n'existe pas) ?
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