Clarins et la pollution électromagnétique
Le Monde du 13 mars 2007 nous a annonçé que Clarins venait (en janvier 2007) de lancer un nouveau produit « en première mondiale »: une brume faciale censée protéger le visage des pollutions électromagnétiques générées par les téléphones portables, les ondes wifi, les antennes relais, les fours à micro ondes, et autres méfaits technologiques de notre société… Il paraît que la peau n’en peut plus de ces agressions permanentes. Ne cherchez plus : ce n’est ni l’âge, ni l’alcool, ni le tabac, ni le soleil, ni le manque de sommeil qui font vieillir votre peau mais juste votre téléphone et vos heures devant internet !
Le Figaro.fr en avait déjà parlé le 16 octobre 2006, et, le 2 novembre 2006, La Tribune de Genève l’annonce aussi, au cours d’un entretien avec Lionel de Benetti, ingénieur chimiste et directeur du pôle recherche et développement de Clarins. Il y affirmait que des études avaient été faites dans des centres de recherche (dont le CNRS de Limoges, d’après Le Monde) au moyen d’irradiations dont la fréquence était semblable à celle d’un portable, sur des cellules (en culture, je suppose ?), études qui auraient démontré que les cellules en question, au bout de 6 heures d’exposition, n’avaient pas du tout aimé ! Des radicaux libres sont apparus. Le mot qui fait peur était lâché !
Pour voir cette brume magique allons lire la fiche du produit, élaborée par Clarins. Elle commence par cette question effrayante : « Pensez-vous que les ondes électromagnétiques puissent traverser les murs sans traverser votre peau ? » La plupart d’entre nous vont répondre : « Non. » Le quidam, et en particulier le quidam féminin, va alors prendre conscience de l’horreur de la chose et se dire : les ondes de mon téléphone, de mon wifi, me traversent de toutes parts et s’en vont flétrir ma peau ! C’est du moins ce type de raisonnement qu’escompte la société Clarins. Le produit fait donc le pari d’une double phobie : celle de l’éternelle jeunesse, et celle de la peur des nouvelles technologies.
À supposer qu’on souscrive à cette peur et qu’on cherche à s’en protéger, on peut malgré tout se demander si la protection offerte par ce spray est efficace. De nouveau, allons voir la fiche produit car elle devrait nous expliquer l’action de cette brume…. enfin on peut l’espérer. Rappelons en passant que les ondes incriminées sont des passe-murailles (la fiche-produit le rappelle aussi quand elle dit qu’elles peuvent traverser les murs !), contrairement aux UV, qui eux, sont arrêtés par un simple vêtement. Rappelons aussi que les applications de produits sur la peau ne concernent que les « couches superficielles de la peau », l’épiderme. Armés de ces considérations, lisons ensemble « l’effet Clarins » ! : « le complexe Magnetic Defense (rhodiola rosea, thermus thermophilus) : renforce l’effet barrière, protection biologique contre les ondes électromagnétiques artificielles) ».
La parenthèse cite la composition de plantes, puis affirme que cette plante a un « effet barrière ». En matière de compréhension, on n’est pas bien avancé… Un extrait de plante formerait une barrière, et cette barrière serait une protection ? On aimerait savoir ce qu’est cette barrière ! La peau n’en est pas une, alors une explication s’impose. Et pour terminer sur « l’effet barrière », on découvre que cette protection ne fonctionnerait que pour les ondes électromagnétiques artificielles.
" Bave de crapaud, une once un quart, stabilisant E420, émulsifiant E471, agent de sapidité E330, colorant..."
Là, le produit est super-fort : il va faire la distinction entre les ondes électromagnétiques naturelles et les artificielles. Les UV du soleil sont des ondes électromagnétiques naturelles. La brume va donc faire la différence entre les UV, qu’elle ne bloquera pas, et les ondes de nos portables, contre lesquelles elle dressera sa fameuse barrière. Et les ondes radio ? Oui , non ? Une petite démonstration, rigoureuse et convaincante, serait vraiment, vraiment, nécessaire ! Je récapitule : selon Clarins, il faudrait donc nous appliquer chaque matin une crème hydratante, puis un filtre anti UV, puis une brume anti électromagnétique, puis une crème anti rides, puis du stick anti cernes, puis un fond de teint, une poudre, un blush, et …. stopppp ! Résistons ! Enfin, si le produit protégeait vraiment le visage de ce type de pollution, il faudrait aussi s’en pulvériser sur le crâne, car notre cerveau est tout de même plus précieux que notre épiderme. Non ? Si !!
« C’est prouvé, Clarins rend la vie plus belle ». Je veux bien le croire : il vaut mieux rire de cette affaire, et le rire est un élément du bonheur, n’est-ce-pas ?
Dessin de José Tricot, illustrateur pour l'AFIS