La « complexité » dans l’évolution, une ambiguïté de langage
Une dépêche de l’AFP, reprise par le site du Monde le 17 mars 2008, affirme que la vie va continuer d’évoluer vers la complexité, selon des chercheurs britanniques et canadiens des universités de Waterloo et de Bath. Il s’agit du résultat d’une étude qu’ils ont conduite sur les crustacés les plus simples, pour lesquels ils ont noté une évolution vers plus de complexité. Ce résultat est étendu à la « vie » en général, sans plus de détails. On ne peut que s’étonner que l’évolution, théorie difficile à vulgariser soit présentée aussi succinctement, par de simples assertions, et se résument en une douzaine de lignes ! Le danger est alors grand de ne garder en tête qu’une interprétation erronée de l’évolution. Commençons par le terme « complexité ». Son défaut est d’évoquer d’emblée un progrès. Il est courant d’entendre dire que l’homme est en haut d’une échelle, la fameuse « scala natura ». Qu’est-ce qui mène en haut de cette échelle ? : la complexité. La complexité est donc synonyme de hiérarchie et elle est pourtant de nos jours largement déboutée par la paléontologie humaine. La diversité, le foisonnement, les contingences, sont des concepts plus pertinents pour aborder l’évolution.
Voici ce qu’en disait Pascal Picq sur forumevents en 2005 : « Qu’est-ce que la complexité ? L’homme a des rapports complexes au monde, mais notre génome n’a que 30 000 gènes, bien moins que le grain de riz. Quantitativement, il est donc plus simple, mais c’est dans son expression, sa grammaire, qu’il devient complexe. Le terme de complexité est donc quelque peu ambigu. Ce sont les fonctions qui sont complexes, et pas forcément les structures ».
Voici ce qu’il en dit aussi dans Lucy et l’obscurantisme (Éd. Odile Jacob, 2007), en parlant des concepts introduits par Stephen Jay Gould : « Il n’existe pas de plus "apte" au sens le plus absolu ou métaphysique, mais des individus qui survivent et se reproduisent plus que les autres. Le concept de contrainte ne signifie pas qu’il y n’y a pas de variations ni de plasticité, mais que celles-ci sont contraintes dans un jeu des possibles. »
Par ailleurs, les chercheurs en question ont constaté que les organismes les plus simples ne pouvaient qu’ « évoluer » vers plus de complexité, et non régresser.
On s’en serait douté ! : lorsqu'on ne peut pas être plus simple, peut-on le devenir quand même ? Non, répond le bon sens. Pourquoi insister sur une lapalissade ? Mais nous, êtres complexes, allons-nous pouvoir évoluer vers plus de complexité ? Certainement, puisque cela semble être une généralité ! Ce privilège évolutif se verrait conforté, et entraînerait dans son sillage l’espoir d’aller encore plus loin dans le processus de complexification – un cheminement qui tendrait vers la perfection ? L’évolution de l’homme deviendrait alors finaliste.
Il semblerait tout de même que les chercheurs envisagent que des organismes évolués puissent régresser, mais cela reste l’exception (OUF ! l’homme respire !). Sur ce point les auteurs de l’étude ne se démarquent pas du jeu des « possibles » défendu par Gould. Alors pourquoi affirmer aussi fort que l’évolution va continuer vers plus de complexité, donc plus de progrès, alors même qu'ils admettent que l’inverse existe ?
Souhaitons qu’il s’agisse seulement d’un article journalistique bâclé, qui n’a pas pris le temps de décortiquer les études des scientifiques avec suffisamment d’attention, et qui ne s'est pas non plus attardé sur le choix des mots justes. Difficulté de traduction, ou bien difficulté de se séparer d’une culture anthropocentrique traditionnelle (la pyramide des l’évolution) ? Sans doute un peu des deux. Reste que la vulgarisation de l’évolution publiée dans un grand journal ne devrait pas s'appuyer sur l’ambiguïté des mots et les interprétations.